Fadia Haddad Masques/Percussions
Entre le pendule, le sceptre et le lance-pierre, heureux celui qui pourra dire de quel bois se chauffe la peintre Fadia Haddad face à son ouvrage flamboyant.
Chaque peinture sonne comme la fin de partie - ô combien transitoire - entre des forces magnétiques, des vibrations musicales et des présences fantomatiques, toutes plus pénétrantes les unes que les autres.
Le Masque dont nous entretient Fadia de manière presque secrète, tout en réminiscences ésotériques, n’est ni un objet de culte ni un principe de composition ; un principe dynamique plutôt, une boussole que la peintre s’exerce à dompter, dans une expérience qui tient autant de l’ascèse que de l’extase. Le Masque bien qu’il reste ancré dans un imaginaire hautement impur, à la fois moderniste (cubisme, colonialisme...) et postmoderne (simulacre, répétition), devient ici une clé de voûte pour sonder les recoins de notre mémoire dionysiaque, l’instinct animal des dieux échoués sur terre, nos tatouages inconscients. Les allures de talismans telluriques ou de hiéroglyphes futuristes que prennent les partitions de Fadia sont le reflet d’une âme profondément ouverte au déchiffrement. Des variations formelles et chromatiques résulte une sorte de géométrie secrète - minimalisme déguisé en art brut - ou de danse entre des signes animés par une performance d’exorcisme : plongée abyssale dans des images qui tambourinent, dégénèrent et crucifient en même temps. Le mouvement incessant du centre vers l’extérieur et de l’extérieur vers le centre est hypnotique, addictif.
De fait si Fadia ne se contente pas d’habiller la toile, elle l’habite ; et si la peinture ne se contente pas de figurer les gestes du peintre, elle les ritualise à travers une grande partition, dont la peintre nous offre les chapitres interdits : l’instant de concentration maximale avant de jeter son corps dans la lutte, celui de retenir sa respiration pour se sentir happé dans les tréfonds de la conscience.
Pourtant, tout chez Fadia finit par trouver un équilibre et une assurance digne d’un temple inca ou d’une constellation de points astraux reliés par un fil d’argent.
Ce « chiffre » apparaît en majesté, au moment ineffable où les gongs et cymbales tressaillant se résolvent dans un intervalle, une note, un champ de forces ; concentré et projectif à la fois, chaotique et chorégraphique, oscillant à la manière d’un pendule, rutilant comme le sceptre, tendu comme le lance-pierre. Le moment de la parade où le masque touche la peau de l’instrument à percussions. Une étoile nous parle.
MBM - 2015