La toile est têtue, Fadia Haddad l'est encore plus : on sent les traces de lutte, même dans les tableaux apparemment les plus simples.
Surgissement d'un repentir par-ci, coup de brosse trop hardi par-là, dans des compositions dont l'équilibre tient toujours du miracle.
On l'a compris : Haddad est un peintre, et des meilleurs.
Un de ces virtuoses qui toujours savent remettre en question leurs acquis techniques, parce qu'ils ont aussi, et avant tout, un monde à dévoiler.
Le sien est peuplé de drôles d'oiseaux, au graphisme plus proche du sens animalier des peintures pariétales, ou celui d'un Joan Miró, que de la précision descriptive d'un Audubon. Les bestioles au long bec, parfois emmanché d'un long cou, pointent la tête au milieu d'un champ de croix, se recroquevillent, observateurs inquiets, devant des formes fascinantes.
Fadia Haddad fait vivre à ses oiseaux les aventures qui lui surviennent, réelles ou imaginées : ils dansent, virevoltent, se cachent, au gré de ses humeurs, sous des couches de bleu, se grisent au contact d'une colonne de peinture rouge, frissonnent parce que, dans l'atelier, il fait froid, ou pondent des oeufs bizarres et nacrés.
Un talent, de la personnalité, et un univers pictural si cohérent à trente-cinq ans : le cas est rare, et mérite une ou plusieurs visites.
Harry BELLET
LE Monde - 27 Février 1995