Le support est pour Fadia HADDAD une question essentielle. Elle a développé la série des "Masques" alternativement sur papier et sur toile, établissant une relation quasi-érotique avec le support choisi, tel un lien tactile de peau à peau avec la surface de l'oeuvre. "J'avais l'impression de faire l'amour avec un géant", se souvient-elle à propos d'un de ses tableaux de grand format. En effet, on l'imagine assez bien dans une sorte de combat sensuel avec l'oeuvre en gestation, saisie entre concentration de l'esprit, acuité du regard et majesté du geste. Pour ses oeuvres sur papier, elle utilise de vieux et grands registres d'hôtels du début du siècle qui portent encore les noms et les notes des clients. Le passé s'intègre au présent lorsque l'artiste, en se les appropriant avec jubilation, y inscrit ses formes.
L'encre rouge ancienne, qui vient à baver délicatement sur les gris-vert ou bleus du peintre, participe de l'avènement de l'oeuvre. En exploitant ce télescopage entre deux réalités, Fadia HADDAD poursuit un tracé labyrinthique : courbes et méandres se multiplient, se croisent, s'agglutinent sur des couches de couleurs et d'histoires qui forment une sorte de palimpseste au sein duquel émerge le masque. Celui-ci n'est parfois qu'une figure triangulaire aux yeux scellés en croix ou en forme de trous noirs prêts à tout aspirer dans le tourbillon de l'inconnu.
À la manière d'un hiéroglyphe, le signe affirme la présence vivante de l'artiste
dans l'image. Le dialogue qui s'instaure au sein même de l'oeuvre prend, sur les toiles de grand format, les proportions d'un manifeste. Le masque devient alors hiératique, gardien ou bouclier d'une peinture qu'il protège et qui se cache derrière lui comme une énigme essentielle ou un rêve enfoui au plus profond de l'être. Assumant parfois des allures baroques, le masque s'enrichit également de pendeloques, d'enroulements répétés comme une coiffe primitive et mystérieuse tandis que les couleurs se révèlent avec un éclat sourd au coeur de la nuée.
L'art devient ainsi évasion du réel ou exaltation du rêve. À la manière d'Icare prenant son envol au-dessus du labyrinthe, l'artiste se déploie dans des espaces nouveaux : ceux du monde intérieur et de l'imaginaire.
Laurence DEBECQUE-MICHEL
Extrait du catalogue "LABYRINTHE"
pour l'exposition à Beaugency
26 juin / 15 août 2004