Les oiseaux et les arbres ne peuvent pas se coucher sans trouver la mort parce que les oiseaux sont aussi détachés du sol que les arbres sont attachés à la terre. Si les oiseaux vivent au-dessus d'elle, les arbres vivent au-dessous. Quand ils meurent les oiseaux descendent sur la terre et les arbres y montent pour mourir. L'homme ne meurt pas quand il se couche au sol mais quand il le quitte pour s'envoler dans le ciel comme les yeux et les oiseaux, quand il entre tout entier dans la terre comme les arbres. Comme si les oiseaux et les arbres étaient morts pour le corps de la femme. Si l'homme ne pouvait pas se coucher au sol il volerait dans l'espace ou il aurait les pieds enfoncés en terre. L'homme se couche sur la terre parce qu'il n'est pas vraiment attaché au sol ni vraiment détaché de lui. Nous ne vivons pas dans la terre mais nous ne la quittons jamais.
Sur la terre l'homme est comme un oiseau perché sur un arbre d'où il ne pourrait plus s'envoler. La terre est le lieu de tous les yeux, un visage aux milliers d'yeux qui ne laisse pas toujours ses yeux s'échapper. L'homme est dans les orbites les plus profondes, dans les trous les plus noirs du visage de la terre d'où il ne peut pas s'enfuir parce qu'il ne naît pas au-dessus dans les arbres.
L'homme et la femme tiennent sur la terre autant que les oiseaux tiennent sur les arbres. Les oiseaux ne tombent sur la terre que si les arbres tombent, et l'homme ne pourrait tomber de la terre que si un trou se creusait brusquement sous ses pieds, comme si un trou dans la terre était une partie de la terre qui tombe dans le vide. Quand elle meurt la femme est comme un arbre qui ne sortirait jamais de terre, comme un oiseau dont les ailes ne se déploieraient jamais dans le ciel.
L'homme ne peut pas imaginer les oiseaux tombant des arbres, comme il ne peut pas s'imaginer tombant jusqu'au fond de la terre. Quand la femme s'imagine les oiseaux tombant des arbres elle voit les arbres tomber avec eux. Un arbre qui tombe, tombe comme un oiseau. Quand un oiseau tombe la terre bascule et renverse tous les arbres avec elle. Quand l'homme voit un oiseau mort tous les arbres autour de lui se couchent au sol.
Jean-Luc PARANT
pour Fadia HADDAD, juillet 96